Andrew combat d’arrache-pied l’incendie de Fort McMurray avec son équipe.
Jour 5
Avec mon équipe, j’étais en train de débroussailler une zone pour limiter la propagation de l’incendie. Non loin de moi, j’ai aperçu un hélicoptère qui volait dangereusement bas. En l’observant, j’ai vu qu’il tanguait et qu’il semblait en difficulté.
Le pilote a perdu le contrôle, puis l’appareil est tombé sur la cime d’un arbre. Alors que le rotor tournait toujours, un craquement retentissant s’est fait entendre: les branches avaient cédé sous le poids. L’hélicoptère a chuté en entraînant de nombreuses branches avec lui. Dans sa descente, il a basculé et s’est écrasé sur le côté. D’abord, le vacarme de l’engin qui s’est écrasé, et ensuite, le bruit du pare-brise et des fenêtres qui ont éclaté. Si j’étais en train de regarder un film, je me serais attendu à voir une explosion. Mais heureusement, ça n’a pas été le cas.
Le rotor s’est détaché de l’appareil, et a été propulsé alors qu’il tournoyait toujours. J’aurais aimé voir cette scène au ralenti, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Avant que quiconque ne se rende compte de ce qui était en train d’arriver, l’énorme pièce s’est arrêtée à mes pieds. Elle s’est d’abord posée en équilibre, telle une pièce de monnaie qu’on lance pour jouer à pile ou face et qui tient quelques secondes debout avant de retomber. Bouche bée, je le regardais.
Après quoi, le rotor a perdu l’équilibre et est tombé sur moi, non sans me renverser sous son poids. Plusieurs collègues sont alors accourus dans ma direction. Deux d’entre eux ont eu l’idée d’utiliser un outil pour improviser un levier. Ils ont tenté de soulever la pièce pour me libérer, tandis qu’un autre m’a saisi sous les aisselles afin d’essayer de me tirer de là.
—Il est toujours coincé. Les gars, il faut soulever plus.
—Impossible, c’est trop lourd. Nous ne pouvons pas soulever plus.
—Andrew, peux-tu respirer?
—C’est douloureux, ai-je répondu péniblement.
—Tommy, il faut dévisser le rotor et le démonter afin de libérer Andrew.
—Je vais chercher mes outils, de répondre Tommy.
Puis, j’ai vu Michaël s’approcher de moi à pas hésitants.
—Andrew?
—Quoi, Michaël?
—J’ai pas une bonne nouvelle!
—Qu’est-ce qui se passe?
—Je crois que la pilote de l’hélico est ta femme!
—De quelle couleur sont ses cheveux?
—Noirs.
—Sont-ils très longs?
—Oui, je suis désolé.
—Comment va-t-elle?
—Elle est morte, a répondu mon ami d’une voix si basse que j’ai eu du mal à l’entendre.
—Va la prendre en photo avec ton téléphone et montre-la-moi. Ce n’est peut-être pas elle!
—Ce n’est pas une bonne idée, Andrew.
—Pourquoi? ai-je répliqué, le souffle court.
—C’est vraiment pas beau à voir!
—Prends cette fichue photo, Mike! ai-je insisté en sentant ma voix fléchir.
—D’accord, comme tu veux.
Michaël est donc retourné à l’hélico. De mon côté, j’éprouvais de plus en plus de difficulté à respirer. J’étais en sueur et j’avais très mal au thorax. Mes collègues qui maintenaient le levier forçaient beaucoup. L’un d’eux a demandé d’être relayé, car il ne pouvait plus tenir. Quelqu’un est venu le remplacer, alors que ceux qui dévissaient les boulons ont accéléré la cadence. J’ai entendu mon lieutenant signaler l’accident et réclamer un hélico pour me transporter à l’hôpital dès que je serais libéré.
Quand Michaël est revenu, j’ai tendu une main tremblante vers lui. Puis j’ai fermé les yeux et ai inspiré un grand coup, ce qui a provoqué un élancement dans ma poitrine. J’ai retenu ma respiration, sans savoir si c’était pour tenter de contrôler ma peur ou ma douleur. Si ce geste visait à me donner du courage, il était inutile. J’avais terriblement peur d’ouvrir les yeux et de découvrir Jamie sur la photo. C’est à ce moment que j’ai senti mon ami me serrer la main. Sa poigne avait beau être chaude et réconfortante, je me sentais glacé dans tout mon corps. Glacé et terrifié!
Ne pouvant plus retenir mon souffle, je me suis remis à respirer. En ouvrant les yeux, mon cœur s’est affolé. Les cheveux cachaient l’œil droit et une partie du visage de la pilote. Quant à l’œil découvert, il était tuméfié. La bouche était fendue et enflée, et il y avait beaucoup de sang. C’était difficile de distinguer les traits du visage de la victime.
Je préférais me dire le mot victime que le nom de Jamie. Michaël avait raison. Tout laissait croire qu’il s’agissait de ma femme. J’éprouvais encore plus de mal à trouver mon souffle. Sans doute à cause des terribles émotions qui me dévoraient de l’intérieur. J’avais l’impression qu’elles me faisaient davantage souffrir que mes douleurs physiques qui étaient pourtant atroces. Je préférais me tordre de douleur que d’avoir le cœur en mille morceaux. Je ne voulais pas vivre sans ma Jamie.
La peur au ventre, j’ai poursuivi mon examen de la photo. Un morceau du pare-brise brisé était logé dans le cou de la victime. Il avait probablement sectionné la carotide, car le sang avait giclé partout. Les cœurs sensibles préfèrent ne pas regarder de telles scènes. Ressentant un haut-le-cœur devant cette photo de malheur, j’ai détourné le regard quelques instants avant de la regarder à nouveau. Cette fois, mes yeux se sont attardés sur le cou du pilote. Je ne voyais pas le gros grain de beauté que Jamie avait dans le creux de la gorge à cause du sang et des éclats de verre qui la recouvraient. Mais quelque chose me chicotait. Avec le peu de force et de souffle qui me restaient, j’ai crié:
—Jaaaaaaaamiiiiiiiiiiiie! Nooonnnnn!
Enragé par ce que mes yeux voyaient, j’ai lancé le cellulaire. Ma rage était entremêlée de désespoir. Autour de moi, c’était le silence total. Puis j’ai perdu connaissance.
Andrew survivra-t-il à cet accident? Qu’adviendra-t-il de ses enfants s’ils deviennent orphelins?